Depuis de nombreuses années, je présente chaque mois un petit staff clinique aux futurs kinésithérapeutes en stage dans notre service de rééducation neurologique adulte, au Centre Hospitalier Neurologique William Lennox.
L’objectif est d’aider les stagiaires à mieux comprendre les origines des modifications de la marche observées chez les patients. Pour cela, j’utilise une démonstration simple, concrète et toujours percutante.
La démonstration du feutre
Je place un gros feutre entre les orteils d’un stagiaire, puis je lui demande de marcher devant le groupe, avec une seule contrainte : ne pas laisser de trace de feutre au sol.
Dès le premier pas, une série de modifications apparaissent dans sa démarche (Situation A) :
- Asymétrie de longueur du pas (le pied avec le feutre avance davantage)
- Asymétrie temporelle
- Asymétrie de mise en charge
- Manque d’extension de la hanche en phase d’appui
- Manque de flexion du genou en phase oscillatoire
- Hyperextension du genou en phase d’appui
- Inclinaison du tronc vers l’avant
Lorsque je demande ensuite au stagiaire de corriger l’asymétrie de longueur du pas, sans changer la contrainte du feutre, de nouvelles compensations apparaissent (Situation B) :
- Rotation externe de la jambe
- Inclinaison et rotation du tronc
Une stratégie d’adaptation, pas une pathologie
Ce qui est fascinant, c’est que tous les stagiaires adoptent les mêmes compensations, malgré leurs différences physiques ou leur expérience. Ces ajustements sont des stratégies naturelles d’adaptation face à une contrainte imposée. Ils leur permettent de continuer à marcher malgré l’obstacle.
Il est important de souligner que nos stagiaires sont en bonne santé, tant physiquement que cognitivement. Ces compensations sont donc la preuve d’un cerveau qui fonctionne bien, et non l’expression d’un trouble moteur.
Et pour améliorer leur marche ? Il n’existe qu’une seule solution : enlever le feutre.
Cela paraît évident. Et pourtant, cette logique s’applique aussi à nos patients.
Quand la situation est pathologique, pas la marche
La marche observée chez le stagiaire n’est pas pathologique en soi. Ce qui est anormal, c’est la situation dans laquelle il se trouve. La présence du feutre crée une contrainte artificielle. Autrement dit, il s’agit d’une marche normale dans une situation anormale.
Lien avec les patients hémiparétiques
Quel est le parallèle avec nos patients hémiparétiques ? Un patient ayant des orteils en griffes douloureux, par exemple, adoptera des compensations similaires. Son cerveau met en place des stratégies pour contourner la douleur ou l’instabilité, exactement comme chez notre stagiaire.
Cette démonstration a donc pour but de sensibiliser les futurs kinésithérapeutes à deux principes fondamentaux :
- Identifier la cause des modifications de la marche.
- Traiter cette cause, et non uniquement ses conséquences.
Une phrase que je répète souvent
« Vous pensez que vos patients sont pleins de défauts, alors qu’en réalité, ils sont pleins de solutions. »
Personnellement, je trouve cela très encourageant. Reste maintenant à identifier les bonnes causes… et à agir efficacement.
Et vous ?
Avez-vous déjà eu l’occasion d’assister à cette démonstration lors d’un staff ?
Comment l’avez-vous vécue ? Vous a-t-elle aidé dans votre pratique ?
Testez-la à votre tour, et partagez vos observations.